Lewis Carroll.

 

I
Le Lapin Blanc.

Il y avait une fois une petite fille appelée Alice, et elle fit un rêve très curieux.
Aimeriez-vous savoir ce dont elle rêva ?
Eh bien, voici la chose qui, en premier, arriva. Un Lapin Blanc passa par là d'un pas pressé mais juste au moment de croiser Alice, il s'arrêta et tira sa montre de son gousset.
N'était-ce pas là une drôle de chose ? Avez-vous déjà vu un Lapin possédant une montre, et un gousset où la mettre ? Naturellement, quand un lapin possède une montre, il faut bien qu'il ait aussi un gousset pour l'y mettre : il ne saurait la transporter dans sa bouche, et il a parfois besoin de ses mains pour courir.
Il a, n'est-ce pas, de jolis yeux roses (tous les Lapins Blancs, je pense, ont les yeux roses) ; et des oreilles roses ; et une belle veste brune ; et l'on devine à peine le mouchoir rouge qui guette depuis sa poche ; quant à sa cravate bleue et à son gilet jaune, qu'en dire sinon qu'il est vraiment très joliment habillé.
« Oh ma chère, ma chère !» dit le Lapin, « je vais être en retard ! » En quoi était-il en retard, je me le demande ? Eh bien, voyez-vous, c'est qu'il devait rendre visite à la Duchesse (vous verrez bientôt un portrait de la Duchesse, assise dans sa cuisine), et la Duchesse était une vieille dame très sévère, et le Lapin savait qu'elle serait très en colère s'il la faisait attendre. Le pauvret était donc aussi effrayé qu'il pouvait l'être, car il pensait que la Duchesse lui ferait trancher la tête, pour le punir. C'était ce que la Reine de Coeur avait l'habitude de faire aux gens quand elle leur en voulait (vous verrez un portrait d'elle, bientôt) : du moins donnait-elle l'ordre qu'on leur tranchât la tête, et elle croyait toujours que c'était chose faite, bien qu'on ne la leur tranchât jamais pour de bon.
Ainsi, quand le Lapin Blanc s'en fut en courant, Alice voulut voir ce qui lui arriverait : elle courut donc derrière lui, et elle courut, courut tant et si bien qu'elle tomba tout droit dans le terrier du Lapin.
Et elle fit alors une très longue chute, tombant , tombant, tombant au point qu'elle se demandait si elle n'était pas en train de traverser le Monde, et si elle n'allait pas ressortir de l'autre côté !
Cela ressemblait tout à fait à un puits très profond, seulement il n'y avait pas d'eau. Si quelqu'un faisait réellement une chute pareille, il se tuerait certainement, mais vous savez bien que tomber en rêve ne fait pas le moindre mal, car, pendant tout le temps que vous pensez tomber, vous êtes en réalité couchée saine et sauve, et profondément endormie !
Quoi qu'il en soit, cette chute terrible se termina enfin, et Alice se retrouva sur un tas de branches et de feuilles sèches. Elle n'avait aucun mal, et sautant sur ses pieds, elle se remit à courir après le Lapin.
Tel fut le début du drôle de rêve d'Alice. La prochaine fois que vous verrez un Lapin Blanc, essayez d'imaginer que vous allez, vous aussi, faire un drôle de rêve, tout comme la chère petite Alice.


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